Aller au contenu

Page:Prévost - Histoire d’une Grecque moderne (Flammarion, 1899), tome II.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’avais vis-à-vis de moi mes livres. Je jetai les yeux sur ceux que je m’étais proposé de donner à Théophé. C’étaient Cléopâtre, la Princesse de Clèves, etc. Mais lui remplirai-je l’imagination de mille chimères, dont il n’y a pas de fruit à recueillir pour sa raison ? En supposant qu’elle y prenne quelque sentiment tendre, serai-je bien satisfait de les devoir à des fictions, qui peuvent réveiller les sentiments de la nature dans un cœur naturellement disposé à la tendresse, mais qui ne feront pas le bonheur du mien, lorsque je ne les devrai qu’à mon artifice ? Je la connais. Elle retombera sur son Nicole, sur son Art de penser, et j’aurai le chagrin de voir l’illusion plutôt dissipée que je n’aurai jamais pu la faire naître ; ou si elle est constante, je ne trouverai qu’un bonheur imparfait dans un amour que j’attribuerai sans cesse à des motifs où je n’aurai pas la moindre part. Ce fut par des réflexions de cette nature que je parvins insensiblement à calmer les mouvements qui m’avaient agité. « Essayons, repris-je plus tranquillement, jusqu’où la raison est capable de me conduire. J’ai deux difficultés à vaincre, et je dois me proposer l’une ou l’autre à combattre. Il faut ou surmonter ma passion, ou triompher de la résistance de Théophé. Son penchant la porte à m’aimer, dit-elle ; mais elle l’a réprimé. Qu’ai-je à prétendre de son amour ? Et si je cherche son intérêt et le mien, ne ferons-nous pas mieux l’un et