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le garde-voie

grosses plantes massives ornaient, de paysages exotiques et bizarres, le verre des vitres. Au dehors, elle ne distinguait rien de précis, elle ne voyait que l’éclat cru de la lune sur la neige, et, bien qu’elle prêtât une oreille attentive, elle n’entendait, dans le silence absolu de cette nuit pleine de lumière, que le va-et-vient de son sang bourdonnant à son tympan. Elle ne percevait rien d’autre que ce bruit sourd et confus persistant dans sa tête, tandis que dans sa mémoire les souvenirs de son enfance, entretenus vivants, se pressaient en la torturant. Elle revoyait entrer les gendarmes ; elle revoyait sortir de l’ombre la haute silhouette de son père, les mains attachées derrière le dos, elle revoyait son visage blafard d’homme perdu. Et, tandis que son cœur sautait dans sa poitrine en bonds désordonnés, il lui semblait que toutes les années écoulées depuis cette époque lointaine étaient anéanties, qu’elle se trouvait tout à coup revenue à ce moment hideux de son existence.

Au bout d’un quart d’heure pourtant les habitudes d’esprit de sa nouvelle vie reprirent le dessus. Elle se raidit contre cette inquiétude rétrospective où ses notions de la réalité s’embrouillaient avec les sensations du passé. La volonté précise de défendre son bonheur et le bien de Jérôme rentra dans ses veines comme un viatique puissant.

Elle s’assit sur son lit, décidée à une attente calme, libre de tout vagabondage d’imagination, et, en ce même moment, elle vit glisser sur le fond blanc des