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les ignorés

avait un dessous terreux tout à fait inaccoutumé. Bien qu’elle ne la vît plus, cette altération de ses traits lui restait sensible. Elle murmura, dès que Jérôme ouvrit les yeux :

— C’est incroyable ce qu’il y avait de neige à balayer ce matin. Des tas et puis des tas. Maintenant tout est propre, mais je n’en peux plus.

Le garde la contemplait avec le sourire approbateur qu’il avait toujours lorsqu’elle lui racontait l’emploi de son temps. Son œil content luisait sous l’arc épais de ses sourcils et sa bouche entr’ouverte laissait voir ses dents robustes plantées à distance les unes des autres comme celles d’un animal. Toute sa personne respirait la force, la santé, la vigueur physique d’un homme mûr qu’aucun excès n’a débilité. Il dit enfin :

— Ça tombait, ça tombait là-bas ! C’était comme un rideau de linge devant les yeux ; puis la nuit, il a fait clair comme à midi.

Il ajouta au bout d’un instant :

— Quand je suis rentré, la lune était couchée, mais grâce au ciel bleu et à la neige, on voyait son chemin. Est-ce qu’il est venu quelqu’un hier ?

Catherine demeura quelques secondes silencieuse, le souffle coupé par cette question si prompte qui déroutait toutes ses précautions.

— Par ce temps, murmura-t-elle enfin précipitamment, bon Dieu, qui serait bien venu ? Il faudrait être fou !

— Il y avait des trous dans la neige tout près de la