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les ignorés

Sans rien dire il alla prendre sa place ordinaire au coin du feu. Comme il se baissait vers le foyer et y choisissait une braise pour allumer sa pipe, le vieux dit :

— Une belle idée que tu as eue là !

Et, tout de suite, comme si depuis le matin tous les deux avaient discuté et rediscuté la chose à l’infini, la vieille ajouta :

— Autant de perdu avec le reste.

Pierre rejeta vivement dans le feu la braise ardente qu’il pinçait entre ses doigts tannés et il se leva.

— La dépense, dit-il sourdement, ça me regarde !

Et, ouvrant doucement la porte, il sortit dans la nuit.

Au-dessus de sa tête, le ciel blanc étincelait. Toutes les étoiles du firmament envoyaient à la terre gelée leurs rayons fixes ou vacillants. Arrivé au cimetière, Pierre, selon son habitude de tous les soirs depuis que Thérèse y dormait, s’arrêta, puis il pénétra dans l’enclos fermé, se pencha sur la croix de bois et murmura :

— Thérèse !

La grosse colère qui avait torturé son cœur depuis un an s’était presque apaisée, il resta là longtemps, courbé vers le sol, écoutant dans la nuit, comme si les morts comprenaient les pensées sans le secours des paroles, et qu’auprès d’eux la grande solitude de la vie cessât d’être.