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les ignorés

modicité, donnait lieu à d’interminables marchandages. Que de fois pour se débarrasser de ces misérables chicanes d’argent n’avait-il pas renoncé volontairement à ses droits en s’exposant ainsi sciemment aux vertes et verbeuses réprimandes de sa vieille gouvernante Benoîte, restée directrice du ménage depuis la mort de la maîtresse du logis.

Avec son sang de paysanne dans les veines, Benoîte était beaucoup plus rusée que son maître pour discerner les coins où l’on pouvait moissonner largement, ceux où il fallait se contenter de glaner avec modération et, ceux enfin, où on devait semer pour l’amour du bon Dieu sans attendre sur cette terre aucune poussée de ses semailles. Depuis trente ans, Benoîte travaillait à guérir le docteur d’une chatouilleuse susceptibilité d’esprit qui restait aussi incompréhensible à son propre sens d’équité pratique que le contenu des gros bouquins alignés sur les rayons de la bibliothèque.

En aidant à contre-cœur, ce soir-là, son maître à enfiler son pesant paletot, elle lui avait dit :

— Ces gens-là ? des geignards ! Je parie que c’est le rhumatisme qui tient l’un ou l’autre. Ça n’a pas le sou et ça se plaint pour une piqûre ! Voilà onze heures qui sonnent. Vous pourriez bien attendre à demain.

Mais Benoîte, comme cela lui arrivait souvent dans son zèle éducateur, avait choisi le plus mauvais argu-