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les ignorés

— Qu’est-ce que tout cela, mon Dieu ? pensa-t-elle.

Et elle ajouta tout haut :

— Je reviens, Monsieur. Un moment. Justine m’attend.

Le vieillard la laissa disparaître puis, se retournant vers Mme Amélie, il lui dit avec une certaine vivacité dans la voix :

— Tu ne l’aimes pas. Pourquoi ?

C’était la première fois que le père interrogeait aussi nettement sa fille sur son attitude vis-à-vis de Mlle Anna. Elle hésita une seconde.

— Je ne la connais pas assez pour l’aimer ou ne pas l’aimer, dit-elle enfin froidement.

En même temps les cinq lignes tracées sur la feuille blanche repassaient sous ses yeux avec leur sens net et précis. Ce manuscrit incomplet contenait l’exact accomplissement de ses prévisions. Dès son premier retour sous le toit paternel n’avait-elle pas clairement perçu le secret mobile du dévouement exagéré de Mlle Anna ? Depuis, d’étape en étape, n’avait-elle pas suivi le sûr progrès de ce travail patient qui aujourd’hui touchait le but ? Elle jeta un coup d’œil autour d’elle. Tout ce qu’elle voyait était à elle, tout ce qui appartenait à son père était à elle. Elle vivante, une étrangère ne détournerait pas un fil à son profit d’une part qui lui revenait tout entière à elle et à ses enfants. Cette criante injustice ne s’accomplirait pas, non. Ses grands yeux noirs fixés durement sur le gros