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l’héritage de Mlle anna

pommier touffu, elle semblait le prendre à témoin de ce juste engagement.

— À quoi penses-tu ? dit le vieillard en posant sur la main potelée et douce, sa main sèche, froide, parcheminée.

Elle tressaillit. Cette question tombant au milieu de ses préoccupations actuelles la frappait comme un reproche. Il lui semblait que son père avait lu sa pensée et lui disait nettement :

— Tu oublies que je suis encore là !

— J’admirais le pommier, dit-elle vivement, il est superbe, ce pommier ! Chez nous les arbres ne sont pas encore en fleurs.

Il suivit la direction indiquée, resta les yeux attachés sur l’énorme bouquet rose et, la voix attristée, il murmura :

— Moi, c’est la dernière fois que je le vois fleurir !

— Pourquoi parler ainsi ? dit-elle. Vous voilà mieux, beaucoup mieux.

Il se tut. Tout à l’heure, la même pensée avait silencieusement passé entre Mlle Anna et lui, mais il en était resté différemment impressionné. Le regret de la vie avait, dans ce moment-là, possédé tout son esprit. À présent autre chose s’était glissé dans sa pensée. Sans qu’il sût comment, il venait d’avoir, pour la première fois, la perception indécise d’une existence décolorée où sa présence deviendrait un fardeau pour les autres, où des yeux impatients regar-