Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
les ignorés

deraient progresser sa déchéance et la trouveraient trop lente.

Il passa à plusieurs reprises sa main sur son front dénudé comme s’il y avait, là-dessous quelque chose de gênant, une confusion, une souffrance indéfinissable et il dit sourdement :

— J’ai assez vécu, je ne suis plus bon à rien.

Mme Amélie resta muette. Le tragique désespoir qui effleurait ce cerveau malade la paralysait. Au milieu de beaucoup d’obscurité, elle avait cru voir briller, dans le regard de son père, un éclair d’effrayante lucidité et les choses secrètes qui se passaient en elle, ainsi aperçues par un autre œil que le sien, lui apparaissaient sous un jour nouveau, brutal, hideux. Comme la gouvernante rentrait, elle se leva d’un mouvement vif et s’écria :

— Voici Mlle Anna.

En même temps, elle s’écarta pour lui faire place. Mais en voyant l’ombre amassée sur le front du vieillard se dissiper aussitôt et son visage se rasséréner, son œil noir reprit sa méfiance. Elle se détourna et murmura entre ses dents :

— Cela ne sera pas, non.