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l’héritage de Mlle anna


II


Trois heures venaient de sonner, et dehors l’obscurité était encore profonde. Mme Amélie assise dans le fauteuil à côté du lit, les yeux grands ouverts, songeait. Tous les détails de sa vie passée lui revenaient en foule à la mémoire. Dans ce cadre familier, resté absolument le même, les faits, grands et menus, qui avaient marqué jadis pour elle, d’un trait saillant, le passage uniforme des heures, reprenaient vie. D’abord les vrais événements de sa jeunesse, la mort de sa mère, son mariage, à elle, et, entre ces deux grands souvenirs, les mille incidents divers ayant laissé sur son cœur ou sur sa vanité, une trace dont elle retrouvait encore, en la cherchant bien, la légère cicatrice. Ce qu’elle avait éprouvé autrefois l’étonnait et elle se regardait vivre dans le passé avec un sourire surpris, un peu protecteur. Les sentiments de sa jeunesse s’étaient effeuillés au contact de la vie, exactement comme les fleurs du pommier pourriraient demain sous la chaleur du soleil. N’y avait-il pas, dans les lois du monde, une irrésistible évolution devant laquelle toute