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les ignorés

jetée dans la rue d’une façon si permanente, et dont l’œil intelligent et triste la suivait jusqu’à ce qu’elle eût disparu, elle avait voulu la questionner sur ses circonstances et, d’abord, elle lui avait demandé son nom.

— Angélique Charpon !

En entendant ces syllabes tomber des lèvres anémiques de la petite fille, Suzanne avait eu un si brusque sursaut d’effroi, elle avait reculé d’un élan si instinctif que l’enfant n’avait pas pu s’y tromper. D’ailleurs Suzanne Roy s’était sauvée tout de suite, sans poursuivre son interrogatoire, et longtemps, longtemps le sourire pâle et fin d’Angélique l’avait hantée comme un remords.

Elle s’était contentée depuis cet incident de la saluer d’un signe de tête amical en passant devant la borne. Dans l’état de ses relations avec les Charpon, bien qu’elle devinât que leur enfant souffrait de négligence et d’isolement, et peut-être d’autre chose, elle ne pouvait pas intervenir.

Angélique, comme si elle eût saisi sans peine la nature de ce scrupule, avait continué à adresser à sa voisine le même sourire éteint qui, au lieu d’égayer sa figure délicate aux tons fins de nacre et d’églantine, y mettait une ombre d’expérience trop précoce, trahissant la présence de quelque scepticisme latent établi au fond de son cœur comme un ver rongeur et y flétrissant avant leur éclosion toutes les joies saines, vivaces, bruyantes, naturelles à son âge.

Depuis qu’Angélique avait pris place derrière le