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les ignorés

Michel ensevelit sa tête dans ses mains comme pour mieux réfléchir. Il tint longtemps sa figure ainsi cachée. Quand il la découvrit elle était pâle, mais tout à fait tranquille, et il dit d’un ton calme :

— C’est tout.

Suzanne tressaillit.

C’était donc vrai qu’il aurait le courage d’aller jusqu’au bout, de jeter, derrière lui, pour complaire au souvenir d’un mort et à ses propres exigences, à elle, tout ce qu’un cœur jeune, passionné, avide de joies honnêtes, réclamait de la vie. Il piétinerait sur sa propre existence pour satisfaire des vanités étrangères, en brave, sans regarder en arrière et sans un mot de reproche à personne.

Elle le prit brusquement par les deux épaules et le secoua :

— Pourquoi mens-tu ? dit-elle suffoquée, ce n’est pas vrai… ce n’est pas tout !

Il se dégagea, détourna la tête et balbutia :

— Moi… je… je… Non…

Il continua d’une voix vibrante, douloureuse :

— Qu’est-ce que vous faites, tante Suzanne ? Je n’ai plus rien à désirer ni à demander à présent, non. Mais j’ai besoin de tout mon courage et vous me l’ôtez.

— Du courage, dit-elle, pourquoi faire ? Tu ne comprends donc pas ?

Et comme il la regardait sans répondre mordu d’une espérance aiguë qui l’effrayait par sa violence, elle ajouta sourdement :