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rencontrer inopinément dans l’escalier, face à face, et tout de suite mon cœur se mettait à battre lourdement, comme si cette rencontre fortuite, ignorée de tout le monde, était un mal, ou bien que cela me donnât tout à coup une grande joie. Mais il passait très vite, sans me regarder, et ma joie s’envolait. Jusqu’à ce qu’il eût disparu, je restais à la même place, blessée, surprise, inquiète… Pourquoi est-ce qu’il ne me parlait jamais ?

Nous vécûmes ainsi jusqu’à la maladie de Lucien. C’est alors, Jacques, que je commençai à vous voir les yeux bien ouverts. Tous les jours, le cœur battant, je guettais le roulement de votre coupé sur le pavé de la cour, et quand je vous voyais traverser le corridor avec votre figure inquiète, j’avais une envie folle de me jeter à votre cou et de vous crier : « Il ne faut pas qu’il meure… il ne faut pas qu’il meure ! »

Mais vous passiez à côté de moi sans me regarder, et je vous voyais disparaître dans cette chambre qui m’était défendue et autour de laquelle, dès que papa était dehors et que maman, occupée de Lucien, oubliait de me surveiller, j’errais à la dérobée. »

Elle s’arrêta et rêva quelques secondes, les yeux perdus dans la distance, tandis que