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— Jamais ta mère ne m’a parlé comme tu viens de le faire, Isabelle.

Je ne pouvais pas me souvenir de ma mère, je ne l’ai jamais connue, mais, à force d’en entendre parler dans ma toute première enfance, elle avait pris une place et une consistance dans mon esprit. Je me la figurais flottant invisible derrière le ciel bleu, vêtue de blanc et constamment préoccupée de ce que je faisais. Chaque fois que ma petite volonté d’enfant croisait la sienne, papa me disait d’un ton sérieux : « Tu oublies ta mère… tu vas la faire pleurer ».

Et ce mot avait toujours sur moi le même effet magique. L’image.de ma mère était gravée dans mon cœur au milieu d’une auréole de cheveux.d’or, comme celle du portrait. L’idée que je la faisais pleurer subjuguait sur-le-champ mes caprices les plus violents. Lorsque papa avait été particulièrement satisfait de moi, il me disait en me regardant avec un sourire un peu triste : « Comme tu ressembles à ta maman ! » Ces quelques mots étaient, à mes yeux, l’expression d’une louange suprême.

Son reproche inattendu me fit donc l’effet d’un soufflet d’autant plus cruel qu’il n’avait plus l’enveloppe enfantine où jusque-là papa