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où le malheureux enfant apprenait qu’à partir de sa majorité le petit bien de son père lui revenait, aucune réponse ne fut faite. Toutes les démarches tentées depuis ont eu le même résultat, vous savez tout cela aussi bien que moi. Mais ce que vous ne pouviez pas deviner, c’est la raison pour laquelle ce souci m’a ainsi rongée, jour après jour, pendant tout ce temps. Vous avez cru à un chagrin d’enfant, trop tenace, dû à une sorte d’obstination maladive, mais ce n’était pas cela… »

Elle poursuivit après un court silence :

« Chaque fois que papa essaie de m’égayer, il y a quelque chose en moi, tout au fond, qui se dresse et qui proteste. Cela me fait un mal aigu et j’ai envie de crier : Oh ! non, non ! Mais, avant que je parle, il me devine ; il s’en va, et moi, au lieu de le rappeler, je le laisse s’en aller. Je le laisse s’en aller et je ne puis autrement. Tandis qu’il s’éloigne avec tristesse, devant mes yeux tous les tableaux du passé passent et repassent incessamment. C’est d’abord Lucien tout petit, vivant sa vie solitaire, enfermé dans une enceinte de mystère que ma curiosité inquiète s’efforce en vain de franchir ; puis c’est encore lui, mais après la maladie, mêlant son existence à la mienne,