Il se souvint aussi des temps difficiles qui avaient suivi la mort de son père, mort brusque, le laissant seul au monde, presque sans le sou et sans autre bagage pour la conquête de son pain que des études de droit à peine achevées. Mêlé à la cohue des autres chercheurs d’emploi, il avait longtemps heurté à toutes les portes sans succès, et, de guerre lasse, désespéré, il venait justement d’accepter un chétif poste de secrétaire, quand du fond de ce pays plat, mordu par la mer, lui était arrivée l’offre inattendue de diriger le vaste domaine qui aujourd’hui lui appartenait. Il avait trente ans lorsqu’une tante qu’il n’avait plus revue depuis sa toute petite enfance lui proposa, de but en blanc, cette position inespérée. Elle faisait plus que la lui proposer. Elle venait de perdre son fils unique, et, le cœur déchiré, elle suppliait Philippe, en sa qualité de plus proche parent du défunt, de la délivrer d’un fardeau devenu trop lourd pour elle.
Pendant deux ans, elle avait traîné à côté de Philippe une vie décolorée, le laissant libre de toutes ses actions, désintéressée de tout ce qui ne touchait pas exclusivement son chagrin. Elle était morte enfin, inconsolée, aban-