Page:Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604.djvu/31

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Ce n'est point la cause, aussi ne sçauroit-elle
Faire mourir l'effect d'une chose immortelle :
Au contraire le bien dont on s'est retiré
Est d'autant plus aimé plus il est desiré.
Mourez, mes vers, mourez, puis que c'est vostre envie,
Ce qui vous sert de mort me servira de vie.

Je fendray donques l'air par mes gemissemens
Aussi large qu'il est en nos esloignemens :
Mais puis que nos Amours, qui fuyent les ruines,
Sont des roses privez, nourrissons des espines
Et changeant de pasture à leurs cœur affamez
Apprenons-leur eux mesme a ne changer jamais.
Dans les esprits bien nez qui sentent bien empraintes
Les flesches de l'amour, de miel & de fiel taintes,
La presence fait naistre un amoureux effet
L'absence les renforce & le fait plus parfait.
Mourez, mes vers, mourez, puis que c'est vostre envie,
Ce qui vous sert de mort me servira de vie.

Ainsi les tourtereau, qui perdent leur ami,
Languit la voix és bois vive & morte à demi,
Et ces mignons d'Amour tesmoignent qu'en leur perte
Ils gaignent par leurs feux la perte plus ouverte,
Et tous seuls dans ce dueil qui leur est tant amer
Apprennent doucement que c'est de bien aimer.
Qui n'aime que des yeux & ne sent point blessee
En quelque part qu'il soit jusqu'au vif sa pensee
L'Amour dans ses vergers aveugle le conduit,
Et luy donne les fleurs, & se garde le fruit.
Mourez, mes vers, mourez, puis que c'est vostre envie,
Ce qui vous sert de mort me servira de vie.