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Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/215

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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

ce frêle esquif ballotté par la mer, s’avançant avec peine malgré les efforts des vigoureux rameurs ! Enfin la chaloupe approchait du pauvre matelot ; on se sentait presque suffoqué d’impatience, dans l’attente du moment où, saisi par l’un de ses camarades, nous le verrions arraché au terrible sort qui le menaçait. La chaloupe n’était plus qu’à quelques verges de lui, lorsque nous le vîmes disparaître dans les ondes. L’équipage de la chaloupe chercha quelque temps, interrogeant la surface agitée de la mer, puis se dirigea du côté du navire, sur un signal de retour donné par l’ordre du capitaine. Je me sentais la poitrine comme oppressée par un poids pesant : maintenant je craignais pour le sort des cinq hommes qui montaient la faible embarcation. Effectivement, ils eurent beaucoup de peine à revenir ; mais enfin, ils arrivèrent. Le navire reprit sa marche, chacun reprit ses occupations, à bord, et, une heure après, personne ne se fût aperçu qu’un accident venait de visiter l’équipage qui nous conduisait sur les sentiers de l’océan… Il y en a tant de ces pauvres enfants d’Adam qui, chaque jour, à chaque heure, à chaque minute, passent du temps à l’éternité, du jugement souvent si faux des hommes, au jugement infaillible et redoutable de Dieu !

Chaque jour de marche nous éloignait des régions froides du Sud et nous rapprochait des feux de la zone torride. Après deux mois et