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YVETTE PROST

Je n’ai jamais observé mieux qu’en Carini l’union de l’homme avec la terre où il doit se dissoudre, union plus intime et bienfaisante que nous ne le pouvons discerner.

Mais Blanche s’obstinait dans son jugement :

— Qu’il soit beau, qu’il chante bien et même qu’il ait une espèce d’âme n’empêche qu’il rende sa femme plutôt malheureuse. Or, mon père dit souvent que la conclusion la moins hasardeuse qu’il ait pu tirer de trente années de médecine, c’est que les neuf dixièmes des malades sont malades parce qu’ils ne sont pas heureux.

— Je le crois volontiers, approuva Nérée ; et j’ajouterai que les quatre cinquièmes de ces malades guériraient s’ils voulaient bien tendre la main jusqu’au bonheur placé à leur portée.

— Ça… c’est une autre chanson, grommela Diane.

— Une autre chanson, madame, qu’il faudrait apprendre aux enfants à l’école. Nous serions presque tous heureux et bien portants si nous voulions accepter quelques vérités élémentaires et y conformer notre vie.

— Voyons ces vérités premières ! fit la jeune femme d’un ton ironique.

— D’abord, que le bonheur est en nous seuls et non hors de nous ; ensuite, que la vie est un mouvement continu où rien n’est jamais définitif ; une succession de défaites réparables, une suite de ruines et de recommencements. Savoir s’adapter, oublier, recommencer, là est la sagesse et ce qu’on peut espérer de bonheur.

Mme Horsel eut un petit rire nerveux et demanda :

— Quel âge avez-vous donc, ô sage vénérable ?

— L’âge de raison, madame : j’aurai trente ans à la cueillette des olives.