les affaires, plus capables vingt fois, surtout plus dignes de la représenter, que les avocats, les journalistes, écrivains, pédants, intrigants et charlatans auxquels elle prodigue ses suffrages, et elle les récuse ! Elle n’en veut pas pour ses mandataires ! La Démocratie a horreur des candidats vraiment démocrates ! Elle met son orgueil à se donner pour chefs des individus ayant une teinte aristocratique ! Pense-t-elle donc par là s’anoblir ? D’où vient, enfin, si le peuple est mûr pour la souveraineté, qu’il se dissimule constamment derrière ses ex-tuteurs, qui ne le protègent plus et ne peuvent rien pour lui ; que devant ceux qui le salarient il baisse les yeux comme une jeune fille[1], et que, mis en demeure d’exprimer son opinion et de faire acte de volonté, il ne sache que suivre la piste de ses anciens patrons et répéter leurs maximes ?
Tout cela, il faut l’avouer, créerait contre l’émancipation du prolétariat un préjugé fâcheux, si la chose ne s’expliquait par la nouveauté même de la situation. La plèbe travailleuse a vécu, dès l’origine des sociétés, dans la dépendance de la classe qui possède, par suite dans un état d’infériorité intellectuelle et morale dont elle a conservé le sentiment profond. Ce n’est que d’hier, depuis que la révolution de 89 a brisé cette hiérarchie, que, se sentant isolée, elle a ac-
- ↑ La comparaison ne paraîtra peut-être pas juste, après la période de coalitions à laquelle nous venons d’assister. Mais sans compter que la loi sur les coalitions n’est pas d’initiative populaire (v. plus bas, IIIe partie, ch. ix), il paraît que dans nombre de cas les ouvriers ont été appuyés dans leurs demandes auprès des patrons par le Gouvernement.
Au surplus, je n’aurais que des éloges à donner à la déférence électorale des ouvriers envers la classe bourgeoise, si, comme le faisait entendre le manifeste des Soixante, cette déférence avait été inspirée par un motif de haute fantaisie politique. Malheureusement il n’en est rien, et l’on peut voir que l’égoïsme est encore, après la fantaisie, la seule raison politique de la plèbe.