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Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/102

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Barbares, ne rêvaient que de volupté. Les livres ascétiques de Tertullien, le rigorisme de Montan, la castration d’Origène, aussi bien que les impudicités monstrueuses des sectes gnostiques et les galanteries des agapes, expliquent de reste ce caractère étrange d’Élagabal, à peine compréhensible pour notre époque, et qui ne le sera plus du tout pour la postérité. Tandis que les uns cherchent l’idéal de la jouissance, les autres se jettent de désespoir dans la macération : l’ascète, comme le débauché, est un témoin de la dépravation des cœurs et des esprits.

Élagabal, comme certains socialistes du xixe siècle, affirmait la pantogamie, la confusion des genres, des espèces et des sexes ; un érotisme omnisexuel, omnianimal, omnimode. Dédaignant la politique, dont il confiait le soin à son cousin Alexandre, il se réservait la direction exclusive des affaires de religion. Sa mère Soémis régnait avec lui, conduisant les chœurs amoureux, et signant pour son fils les décrets des consuls. Ce fut aux yeux des Romains son plus grand forfait. Du reste, il plut aux soldats par ses gratifications, à la plèbe par son luxe et ses largesses : c’est lui qui, au rapport de Lampridius, inventa ces loteries dont la chrétienté charitable a conservé l’usage, et qui jouent un si grand rôle dans les combinaisons de la finance moderne.

Ainsi Rome devait exprimer, en la personne de ses empereurs, toutes les idéalités de la terre. En attendant que la théologie chrétienne monte sur le trône, nous aurons l’exhibition du patriciat en Pompée, de la plèbe en César, de la philosophie en Marc-Aurèle, du machiavélisme en Auguste et en Tibère, de l’héroïsme en Trajan, du prétorien en Sévère, de la théosophie vénérienne en Élagabal, du puritanisme en Alexandre. Savoir les empereurs, c’est savoir l’antiquité dans son passage du passionnalisme à l’ascétisme ; c’est connaître la thèse, c’est-à-dire la cause immédiate, du christianisme.

Élagabal est une des apparitions les plus curieuses de cette transition pagano-chrétienne. Il n’est, au fond, ni plus ni moins perverti que tant d’autres ; ce qu’il en fait, on ne saurait trop le redire, est le résultat de l’hallucination mystique autant que