Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui seul peut faire triompher la raison du pyrrhonisme moral et spéculatif, et qui constitue l’essence de la Révolution, la littérature française semblait privée de ce sentiment de la nature et de l’humanité qui tient plus de l’émotion organique que de la Justice. J.-J. Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre se chargèrent de combler cette prétendue lacune. Mais déjà l’on put voir combien ce sentiment affecté de la nature traînait de corruption à sa suite, non-seulement pour les lettres, mais pour l’intelligence de la nation et pour ses mœurs. L’amour de la nature, de même que la douceur envers les animaux, doit naître, chez l’homme civilisé, de la considération de lui-même et du sentiment élevé de la Justice. Car, pour peu que vous donniez d’essor à cette sensibilité où la bête a plus de part que l’esprit, elle ne sera bientôt, comme la charité chrétienne, qu’hypocrisie de la conscience, ramollissement du cerveau et défaillance du cœur.

Quoi qu’il en soit de l’influence de Rousseau et de son école, c’est à partir de la suppression des jésuites que la décomposition de la vieille société devient générale. À travers les lézardes de la monarchie, la Révolution apparaît. En 1774, elle fait son entrée aux affaires, incarnée dans Turgot ; 1788, convocation des États-généraux ; 1789, l’action commence.

Depuis lors, nous sommes en pleine épopée. Tous tant que nous sommes, lettrés et illettrés, ouvriers, paysans, soldats, bourgeoisie et plèbe, nous faisons de la matière épique. Tout gravite, tout roule sur la Révolution. Et cette Révolution est devenue européenne ; elle embrasse la terre dans son étendue, le genre humain dans ses races, la civilisation dans ses principes, la vie universelle dans son action, et toute idée se résout et s’efface dans son idée.