Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/208

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des sociétés primitives, dont la pudeur condamna tout d’abord l’inceste, quelque chose de plus, qui tient à la conscience : c’est cette raison que je cherche, me demandant si elle est fondée en morale, ou s’il ne faut y voir qu’un caprice de l’instinct.

Autrefois les rois d’Égypte pouvaient, par privilége spécial, épouser leurs sœurs. La dérogation faite en faveur de la royauté, pour des raisons qui ne sont plus de notre siècle, prouve qu’en général l’union du frère et de la sœur était regardée comme contraire aux bonnes mœurs. Elle n’appartenait qu’aux bêtes et aux dieux, que la religion affranchit de tout temps des devoirs de l’humanité. À plus forte raison le commerce du père avec la fille, du fils avec la mère, passait pour abominable ; on n’était pas loin d’y voir une calamité publique. La raison, encore une fois, de cette abhorrence ?

L’interdiction du mariage pour cause de parenté paraît d’autant plus surprenante que dans l’opinion des anciens l’œuvre de chair, coïtus, était regardée, à l’état de nature, comme chose indifférente, n’impliquant de soi ni crime ni délit. Ils considéraient comme vivant à l’état de nature, relativement à une société donnée, tout ce qui était en dehors de cette société, les barbares ou étrangers, les prisonniers de guerre et les esclaves. Pour ces catégories, rejetées hors la loi, hors la conscience publique, il n’y avait ni inceste, ni adultère, ni stupre, ni viol ; la promiscuité était pour ainsi dire leur droit. L’interdiction, c’est-à-dire le crime, n’existait que pour les personnes de condition libre, qui seules étaient tenues de respecter, les unes à l’égard des autres, les barrières légales.

Comment donc, en passant de l’état dit de nature à l’état de civilisation, la raison pratique des peuples a-t-elle créé, au point de vue de l’amour, ces distinctions de personnes, qu’on prendrait presque pour une variante de la