Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/231

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christianisme, l’antiquité avait eu le sentiment profond de ce fait, et, tout en élevant haut la dignité matrimoniale, elle avait essayé, par sa tolérance, par ses coutumes et ses institutions, de racheter l’indignité de l’amour libre.

En dehors du mariage aristocratique et solennel, les Grecs admettaient, pour les cas où le mariage était censé par une raison quelconque impraticable, un concubinat qui n’avait rien en soi de dégradant, bien que la femme n’eût aucuns droits légaux et que ses enfants ne pussent tenir lieu des légitimes. La femme de compagnie, hétaïra, n’était pas infâme ; privée des honneurs de l’épouse, elle remportait souvent sur elle pour la fidélité, la chasteté et le sacrifice.

La fameuse Briséis, cause innocente de la querelle entre Achille et Agamemnon, était, comme Chryséis, la fille du grand prêtre, de captive devenue hétaïra. Quoi de plus touchant, de plus décent, que les larmes de cette jeune fille, quand elle se voit enlevée à son Achille, le maître de son cœur et de sa personne ? Comparez ses adieux avec ceux d’Andromaque, l’épouse légitime d’Hector, et vous trouverez dans la différence des tons du poëte la différence de condition des deux femmes, mais rien qui trahisse la moindre idée d’avilissement. — Alcibiade, réfugié en Asie, vivait avec une hétaïra quand il fut assassiné : on sait avec quel soin pieux elle recueillit le corps de son ami et lui rendit les derniers devoirs. — Les Dix mille, de la fameuse retraite, avaient chacun leur femme de compagnie. Ces femmes les suivaient dans les marches et sur le champ de bataille, préparant leurs repas, pansant leurs blessures et leur rendant tous les services d’épouses dévouées et fidèles. Religion à part, croyez-vous, Monseigneur, que ces femmes ne valussent pas, pour l’héroïsme, nos sœurs de Charité, dont le