Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/339

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l’amour platonique, l’embrasement du cerveau absorbe les étincelles qui partent des sens ; mais, la fièvre passée, vous n’avez plus que de lamentables martyrs de la continence, d’enragés luxurieux que la fatigue du cœur livre sans défense à la tyrannie de l’hypocondre.

C’est le cas, direz-vous, de suivre le précepte de l’Apôtre, Mieux vaut se marier que brûler. Le conseil est fort sage : mais remarquez que l’Apôtre, qui prêche si bien les autres, ne se marie point ; il repousse l’amour, légitime et non légitime ; il se macère, il insulte à la femme, qui seule cependant peut lui rendre le repos. D’où vient cette contradiction ?

Reconnaissons ici le péril de ce platonisme qu’une vaine littérature voudrait ériger en vertu.

Celui qu’une passion idéale a saisi de bonne heure et conduit fort avant dans la virilité est devenu, par son idéalisme même, gauche et maladroit avec le sexe, dédaigneux de la galanterie, où il ne réussit pas, brusque et sarcastique avec les jolies personnes, intraitable à l’endroit des positions mitoyennes, qu’il qualifie, non sans raison, d’immorales. Bref, il regimbe, malgré son appétit et ses dents, contre l’amour qui le pique, l’irrite, le fait rugir comme un lion. Si parfois, l’occasion et le diable aidant, il se laisse aller, il ne rencontre que dégoût, déplaisance, remords ; il se sent extravagant, ridicule ; il reconnaît avec dépit la justesse de ce mot si joli : Laisse les femmes, Jean-Jacques, et étudie les mathématiques.

Alors, comme l’Apôtre, il prend en aversion et l’amour, et le mariage, et la femme. Mais méfiez-vous de ce vertueux célibataire ; plus il vieillit, plus il tourne au satyre. Nulle chasteté véritable ne commence par l’amour : les vrais types de pureté, Kant, Leibnitz, Newton, n’aimèrent jamais. Éloignez du vieil amoureux vos enfants, vos jeunes filles : rien que son odeur les déflorerait.