Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/404

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ce sacrifice la perte de son amour lui pèse quelque chose, que sa Laurence ose l’accuser, et se jette par désespoir amoureux dans le désordre. Celui qui renonce à sa maîtresse pour sauver sa religion, sa patrie, moins que cela, pour donner l’extrême onction à son évêque, n’a plus de larmes à répandre ; le devoir accompli prend la place de l’amour, devient amour lui-même. Et celle qui a perdu de la sorte son amant doit se dire qu’elle a gagné un héros, elle est heureuse. Le Jocelyn, en un mot, n’a pas le sens moral : cette simple observation, qui certes est loin de la pensée de M. de Lamartine, fait de son poëme une œuvre scandaleuse et met à néant ses six mille vers.

Je n’ai pas lu la Chute d’un Ange, qu’on m’a dit être fort inférieure encore à Jocelyn. Serait-ce une variante du poëme d’Eloa, de M. Alfred de Vigny, comme le Voyage en Orient est une réédition de l’Itinéraire, comme le Jocelyn est une résurrection du Vicaire savoyard ?

Les Histoires de M. de Lamartine, fatigantes par la pompe continue du style, sont pour le reste au-dessous de la critique. Son Conseiller du peuple, œuvre de réaction, mériterait de ma part de rudes représailles ; je me contente d’un mot. Après s’être laissé descendre, avec le courant providentiel, jusqu’à la République sociale, il a remonté, sous la même influence, vers la contre-révolution ; que le vent tourne de nouveau, il reviendra des premiers : ce sera toujours le même homme. N’a-t-il pas déjà distingué entre le bon socialisme et le mauvais socialisme ?

Dans Raphaël, M. de Lamartine a voulu réagir contre l’impudicité croissante des romans en vogue par la peinture d’un amour immaculé. Peut-être aussi, à l’exemple de Benjamin Constant, s’est-il proposé de consigner, dans une fiction plus ou moins personnelle, quelque souvenir de sa vie intime ; ce que je regretterais, je l’avoue. Quoi qu’il en soit, l’idée de rétablir la moralité dans le roman par une purification de l’amour était excellente, digne du cœur de M. de Lamartine. Mais ici encore il est retombé, par l’irréflexion de sa pensée, dans le défaut de Jocelyn, à tel point que Raphaël, qui par la forme touche au mysticisme, est quant au fond ce que j’ai lu jamais de plus obscène.