Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/421

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sard cet ouvrage pour s’apercevoir qu’on a affaire à une personne dont l’indépendance s’affiche beaucoup moins que celle de Mme  de Staël, et chez qui, pour cette raison, le caractère, les idées et le style semblent plus assurés. Défiez-vous cependant de cet air de componction : Mme  Necker n’est pas tellement résignée à la loi de subordination qu’elle enseigne aux jeunes filles et que sa religion lui impose, que je voulusse recommander son livre aux institutions, et cela dans l’intérêt même du sexe. La pédagogie de cette prêcheuse, inspirée du temple, est dépourvue d’aménité ; on dirait la Julie de Rousseau devenue ictérique, et qui, après avoir caressé l’amour et l’homme, est saisie tout à coup des deux sentiments les plus haïssables chez la femme, l’aversion de son sexe, et une envie démesurée du nôtre. Ah ! plutôt que ces piétistes à figures de parchemin, vivent les Madeleine et les Aglaé ! Celles-ci du moins nous font sentir la femme ; la vertu des autres n’est bonne qu’à figurer sur des croix sépulcrales. Tandis que Mme  Necker disserte, étale sa discipline et sa savantise, elle oublie de montrer ce qui plaît le plus dans la femme, la seule chose qu’elle puisse donner et que nous lui demandions, cette physionomie ravissante que prend dans son esprit la pensée de l’homme. Qu’on trouve dans son ouvrage quelques observations de détail qui ont leur prix, je l’accorde ; au total, je préfère à ce méthodisme décharné la bonne Mme  Le Prince de Beaumont et son Magasin des Enfants.

Je ne m’arrêterai point à examiner l’ordre d’idées dans lequel se meut Mme  Necker : sa pensée ne lui appartient pas. Chrétienne et réformée, elle part du dogme de la chute, rétrogradant ainsi de Rousseau, qui du moins affirmait la Justice native et immanente, à saint Paul, le théologien de la grâce : c’est assez dire. Mme  Necker n’a pas de système, pas d’idée synthétique et mère ; le titre de son livre, Éducation progressive, sans portée philosophique, aussi ambitieux que mal justifié, n’a pas même de sens : cela pourrait s’appeler aussi bien Ange conducteur dans les voies du salut, à la manière des ouvrages de dévotion catholiques, si la foi calviniste ne répugnait à la modestie et à la simplicité.