Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/562

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Pour comble de malheur, à côté des tartufes qui déclament contre le parti des assassins, il y a les révoltés qui semblent applaudir, et ne se doutent pas davantage qu’en admirant le régicide, ils se rendent eux-mêmes complices de la tyrannie. De sorte que la défense, dans l’état actuel des esprits, en présence des révélations de la police et des manifestations du dehors, semble devenue impossible, toute protestation d’innocence odieuse. Comment échapper, si j’essaye une apologie de l’attentat, à l’animadversion du pouvoir ; si je prends parti contre les condamnés, à la réprobation de l’opinion ? La mort si courageuse, si dramatique, d’Orsini et de Piéri, a presque fait de ces deux régicides des martyrs. Que je touche à leur mémoire, et sans égard pour les milliers d’innocents qu’il s’agit de sauvegarder, la démocratie me met à l’index, m’appelle traître et lâche. C’est aux cris, mille fois répétés dans la foule, de Chapeaux bas ! que sont tombées les deux têtes ; des sergents de ville, des gardes municipaux, se sont évanouis ; l’un d’eux est mort de saisissement ; le soldat stupéfié laissait le peuple grimper sur ses épaules ; pas une goutte du sang versé n’a été perdue, des centaines de mouchoirs l’ont recueilli pieusement. On se disait que de grandes dames, de très-grandes dames, s’étaient intéressées au salut des condamnés, avaient sollicité leur grâce ; que cette grâce, appuyée dans le conseil privé de l’empereur, n’avait été écartée que par l’inflexible raison d’état. Essayez de faire descendre de leur piédestal ces deux assassins !…

Peuple tragédien que nous sommes ! Nous pleurons sur Orsini et Piéri : quant à ceux qui partent pour l’Algérie, personne n’y songe. On hésite, aux Tuileries, devant l’exécution de deux hommes justement condamnés après tout ; on vote d’entrain au Palais législatif une loi qui peut amener la transportation de cent mille suspects.