Page:Proudhon - Du Principe fédératif.djvu/119

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et en d’autres mains que celles de l’État, de tous les services publics ; par la mutualité du crédit et de l’assurance, par la peréquation de l’impôt, par la garantie du travail et de l’instruction, par une combinaison des travaux qui permette à chaque travailleur de devenir de simple manouvrier industrieux et artiste, et de salarié maître.


Une pareille révolution ne saurait évidemment être l’œuvre ni d’une monarchie bourgeoise ni d’une démocratie unitaire ; elle est le fait d’une fédération. Elle ne relève pas du contrat unilatéral ou de bienfaisance ni des institutions de la charité ; elle est le propre du contrat synallagmatique et commutatif[1].

  1. Un simple calcul mettra ceci en évidence. La moyenne d’instruction à donner aux deux sexes, dans un État libre, ne peut pas embrasser une période moindre de dix à douze ans, ce qui comprend à peu près le cinquième de la population totale, soit, en France, sept millions et demi d’individus, garçons et filles, sur trente-huit millions d’habitants. Dans les pays où les mariages produisent beaucoup d’enfants, comme en Amérique, cette proportion est plus considérable encore. Ce sont donc sept millions et demi d’individus des deux sexes auxquels il s’agit de donner, dans une mesure honnête, mais qui n’aurait à coup sûr rien d’aristocratique, l’instruction littéraire, scientifique, morale et professionnelle. Or, quel est en France le nombre d’individus qui fréquentent les écoles secondaires et supérieures ? Cent vingt-sept mille quatre cent soixante-quatorze, d’après la statistique de M. Guillard. Tous les autres, au nombre de sept millions trois cent soixante-dix mille cinq cent vingt-cinq, sont condamnés à ne dépasser jamais l’école primaire. Mais il s’en faut qu’ils y aillent tous : les comités de recrutement constatent chaque année un nombre croissant d’illettrés. Où en seraient nos gouvernants, je le demande, s’il leur fallait résoudre ce problème d’une instruction moyenne à donner à sept millions trois cent soixante-dix mille cinq cent vingt-cinq individus, en sus des cent vingt-sept mille quatre cent soixante-quatorze qui occupent les écoles ? Que peuvent ici, et le pacte unilatéral d’une monarchie bourgeoise, et le contrat de bienfaisance d’un Empire paternel, et les fondations charitables de l’Église, et les conseils de prévoyance de Malthus, et les espérances du libre-échange ? Tous les comités de salut public eux-mêmes, avec leur vigueur révolutionnaire, y échoueraient. Pareil but ne peut être atteint qu’au moyen d’une combinaison de l’apprentissage et de l’écolage qui fasse de chaque élève un producteur : ce qui suppose une fédération universelle. Je ne connais pas de fait plus écrasant pour la vieille politique que celui-là.