Page:Proudhon - Du Principe fédératif.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retenus dans les États qu’ils habitent ; que la société américaine n’en sera pas plus homogène ; qu’en outre le désir d’empêcher à l’avenir toute tentative de séparation des États du Sud aura fait faire un pas de plus vers la centralisation, en sorte que, la constitution géographique venant ici en aide à la constitution sociale[1], la république fédérative des États-Unis n’aura fait, par la solution Lincoln, que s’acheminer plus rapidement vers le système unitaire.


Or, la même Démocratie qui parmi nous soutient l’unité

  1. Si jamais confédération fut placée dans des conditions géographiques désavantageuses, c’est à coup sûr celle des États-Unis. Là on peut dire que la fatalité est foncièrement hostile et que la liberté a tout à faire. Un vaste continent, de six cents à mille lieues de largeur, de forme carrée, baigné de trois côtés par l’Océan, mais dont les côtes sont tellement distantes les unes des autres qu’on peut dire la mer inaccessible aux trois quarts des habitants ; au milieu de ce continent, un immense couloir, ou plutôt un boyau (Mississipi, Missouri, Ohio), qui, s’il n’est neutralisé ou déclaré propriété commune, ne formera, pour les dix-neuf vingtièmes des riverains, qu’une artère sans issue : voilà, en deux mots, la configuration générale de l’Union américaine. Aussi le danger de la scission a-t-il été immédiatement compris, et il est incontestable que sous ce rapport le Nord combat pour son existence autant au moins que pour l’Unité. Là tout se trouve en ce moment en contradiction les Blancs et les Noirs, le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest (Protestants et Mormons), le caractère national (germanique et fédéraliste) exprimé par le pacte, et le territoire, les intérêts et les mœurs. Au premier aspect, l’Amérique du Nord semble prédestinée à former un grand Empire unitaire, comparable, supérieur même, à ceux des Romains, des Mongols ou des Chinois. Mais n’est-ce pas aussi une chose merveilleuse que ce continent soit justement tombé aux mains de la race la plus fédéraliste par son tempérament, son génie et ses aspirations, la race anglo-saxonne ? Que M. Lincoln apprenne à ses compatriotes à surmonter leurs répugnances ; qu’il admette les Noirs au droit de cité et déclare en même temps la guerre au prolétariat, et l’Union est sauvée.