Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/54

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armes à feu, par suite la dépense de courage toujours en diminuant : tel est le résultat auquel aboutit l’influence de l’industrie moderne sur l’art des tacticiens et les jugements de la force. Tout boulet de canon tiré coûte quinze francs ; tout canon de bronze, mis en place, six mille francs ; un canon rayé, vingt-cinq mille francs. Un soldat d’infanterie, de quatre ans de service, équipé et armé, représente, en avances faites par la famille et par l’état, intérêts de ces avances, perte de travail, un capital moyen de vingt-cinq mille francs. Bientôt l’on ne dira plus : La victoire est aux gros bataillons ; on dira : La victoire est aux grosses machines, aux gros capitaux[1].

Le soldat romain ne coûtait quelque chose à l’État et ne devenait une cause de déficit pour sa famille que du jour où il entrait en campagne ; la vie de caserne n’altérait pas ses mœurs laborieuses et ses vertus civiques. Son éducation militaire se faisait au sein même des travaux rustiques : c’était une tradition de famille autant qu’un enseignement de la cité. Quant à l’armement, les épées et les piques, passant des pères aux enfants, n’avaient besoin, à chaque génération comme à chaque campagne, que

  1. Parmi les faits qui caractérisent notre époque, il convient de signaler la concurrence que se font les nations civilisées en fuit d’industrialisme militaire. Les Anglais ont le canon Amstrong, formé de pièces d’acier soudées ensemble ; le prix de cette arme est de 50,000 fr. Un chantier a été construit pour la fabrication de ces canons : les bâtiments et l’outillage ont coûté 19 millions de francs. Entre le canon Amstrong et le canon rayé, il y a la même différence qu’entre celui-ci et le canon ordinaire. Le canon Amstrong perce, à une grande distance, une chaloupe cuirassée. C’est un secret du gouvernement anglais. On dit pourtant que dans la dernière guerre de Chine, ces fameux canons n’ont pas produit le résultat qu’on en espérait.
      La Prusse de son côté a acquis d’un ouvrier fondeur le secret de fondre des blocs d’acier aussi gros que les canons. Avantage considérable pour la fabrication des canons rayés, et aussi, assure-t-on, pour leur puissance. Tout le monde connaît les carabines Minié, les fusils à piston, les pistolets revolvers, les canons Paixhans, etc.