Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/55

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d’un repassage. En revanche, tandis qu’avec nos armes de jet la victoire et la vie du soldat dépendent surtout de l’avantage des positions, du nombre des pièces, du pointage des canonniers, de la précision des feux de bataillon, de la druesse des feux de file, elles dépendaient alors bien davantage de la bravoure des légionnaires. Le Romain, à chaque combat, joignait l’ennemi, combattait corps à corps, et s’il avait affaire à des troupes aguerries, comptait ses triomphes par ses blessures.

Le progrès des armes modernes, il faut l’avouer, est en sens contraire de la valeur antique. Un des résultats obtenus dans la dernière campagne par l’emploi des canons rayés a été, dit-on, de rendre la cavalerie et les réserves complétement inutiles. Les nouveaux projectiles allaient les chercher à des distances telles, qu’elles étaient paralysées ou détruites sur place avant d’avoir pu entrer en ligne et fournir une charge. Encore un progrès dans ce genre, et les masses d’infanterie se deviendront mutuellement inabordables. Une colonne d’attaque, lancée au pas de course, pouvant être détruite par une poignée d’hommes en moins de temps qu’il n’en faut pour franchir un intervalle de cent a cent cinquante pas, les soldats de la haute civilisation seraient réduits à s’exterminer de loin sans pouvoir jamais en venir aux mains. De quart d’heure en quart d’heure, on verrait un parlementaire, circulant entre les deux armées, porter un bulletin du général en chef au général en chef : « Ma perte est de tant d’hommes ; quelle est la votre ? Comptons… A vous, monsieur, l’avantage. » Quelle civilisation ! Quel progrès ! Comment croire encore à une justice de la guerre, à un droit de la force ?

Un autre genre de reproches est relatif à l’enrôlement, à l’organisation militaire, aux garanties du soldat, à la responsabilité des officiers, à la moralité du commandement.