Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/94

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et pour un long temps, entre les mains d’un emprunteur unique. Il sait que, par la création incessante de valeurs nouvelles, par la proportionnalité variable des produits, par les oscillations de la politique, sa fortune est soumise à des chances perpétuelles de hausse et de baisse ; et dans la prévision de toutes ces éventualités, il se met, autant que possible, en engageant ses fonds, à même de les déplacer, distribuer, et au besoin réaliser, à la convenance de ses intérêts.

La commandite par actions représentées en titres circulables et au porteur lui en fournit le moyen.

Le prêt hypothécaire à longue échéance n’est maintenant un placement de fonds que pour le petit rentier qui renonce à augmenter son capital, ou qui, spéculant au fond d’une province sur la misère et l’ignorance du paysan, fait ses placements à un taux dont l’élévation est en raison même de l’immobilisation de la dette. La Société de Crédit foncier, en substituant au crédit individuel et déclaré un commanditaire multiple et anonyme, dont les obligations sont à tout instant négociables, a détruit, au moins en principe, ce vieux système usuraire, et fait du gage immobilier, de l’antique hypothèque, un instrument de mobilisation. La nouvelle procédure, pour les cas d’expropriation, ajoute encore à la rapidité et à la certitude du mouvement. Grâce à cette organisation savante, le sol n’est décidément plus, suivant la définition des modernes économistes, qu’un outil ; l’agriculture et l’industrie sont assimilées dans un même régime de crédit et de commandite : la révolution est complète. L’impulsion une fois donnée, le mouvement devient une cause incessante de mouvement. Les inventions, les perfectionnements qui se succèdent et se pressent sans relâche, changent à chaque instant les conditions du travail. La vapeur a bouleversé, transformé l’industrie. Déjà l’on peut prévoir le jour où le travail agricole lui-même sera industrialisé, où le hameau ne sera plus qu’une manufacture, et la vie du paysan identifiée à celle de l’ouvrier des fabriques, chantiers de construction, chemins de fer, usines et ponts. Dans un tel entraînement, la pratique capitaliste ne pouvait rester sta-