Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/361

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lomnie la charité, tandis que le pauvre la souille ? — C’est perversion du jugement chez le riche, disent les uns ; c’est dégradation des facultés chez les pauvres, disent les autres. — Mais d’où vient que le jugement se pervertit d’un côté, et de l’autre que les facultés se dégradent ? D’où vient qu’une vraie et cordiale fraternité n’a pas arrêté de part et d’autre les effets de l’orgueil et du travail ? Qu’on me réponde par des raisons, et non par des phrases.

Le travail, en inventant des procédés et des machines qui multiplient à l’infini sa puissance, puis en stimulant par la rivalité le génie industriel, et assurant ses conquêtes au moyen des profits du capital et des priviléges de l’exploitation, a rendu plus profonde et plus inévitable la constitution hiérarchique de la société : encore une fois il ne faut accuser de cela personne. Mais j’en atteste de nouveau la sainte loi de l’Évangile, il dépendait de nous de tirer de cette subordination de l’homme à l’homme, ou, pour mieux dire, du travailleur au travailleur, des conséquences tout autres.

Les traditions de la vie féodale et de celle des patriarches avaient donné l’exemple aux industriels. La division du travail et les autres accidents de la production n’étaient que des appels à la grande vie de famille, des indices du système préparatoire suivant lequel devait se traduire et se développer la fraternité. Les maîtrises, corporations et droits d’aînesse, furent conçus dans cette idée ; beaucoup de communistes même ne répugnent point à cette forme d’association : est-il surprenant que l’idéal en soit si vivace parmi ceux qui, vaincus mais non convertis, se portent encore aujourd’hui comme ses représentants ? Qui donc empêchait la charité, l’union, le dévouement, de se maintenir dans la hiérarchie, alors que la hiérarchie n’eût été qu’une condition du travail ? Il suffisait que les hommes à machines, preux chevaliers combattant à armes égales, ne fissent mystère ou réserve de leurs secrets ; que les barons ne se missent en campagne que pour le meilleur marché des produits, non pour leur accaparement ; et que les vassaux, assurés que la guerre n’aurait pour résultat que d’augmenter leur richesse, se montrassent toujours entreprenants, laborieux et fidèles. Le chef d’atelier n’était plus alors qu’un capitaine faisant ma-