seulement laissé croire sans qu’il y eût de notre faute, qu’un cercle peut être carré, ou un carré circulaire, alors que de cette fausse opinion devait résulter pour nous une série incalculable de maux ? — Sans doute encore.
Eh bien ! voilà justement ce que Dieu, le Dieu de la Providence, a fait dans le gouvernement de l’humanité ; voilà ce dont je l’accuse. Il savait de toute éternité, puisque après six mille ans d’expérience douloureuse nous mortels l’avons découvert, que l’ordre dans la société, c’est-à-dire la liberté, la richesse, la science, se réalise par la conciliation d’idées contraires qui, prises chacune en particulier pour absolues, devaient nous précipiter dans un abîme de misère : pourquoi ne nous a-t-il point avertis ? pourquoi n’a-t-il pas dès l’origine redressé notre jugement ? pourquoi nous a-t-il abandonnés à notre logique imparfaite, alors surtout que notre égoïsme devait s’en autoriser dans ses injustices et ses perfidies ? Il savait, ce Dieu jaloux, qu’en nous livrant aux hasards de l’expérience, nous ne trouverions que bien tard cette sécurité de la vie qui fait tout notre bonheur : pourquoi, par une révélation de nos propres lois, n’a-t-il pas abrégé ce long apprentissage ? pourquoi, au lieu de nous fasciner d’opinions contradictoires, n’a-t-il pas renversé l’expérience, en nous faisant passer par voie d’analyse des idées synthétiques aux antinomies, au lieu de nous laisser gravir péniblement le sommet escarpé de l’antinomie à la synthèse ?
Si, comme on le pensait autrefois, le mal dont souffre l’humanité provenait seulement de l’imperfection inévitable en toute créature ; disons mieux, si ce mal n’avait pour cause que l’antagonisme des virtualités et inclinations qui constituent notre être, et que la raison doit nous apprendre à maîtriser et à conduire, nous n’aurions pas droit d’élever une plainte. Notre condition étant ce qu’elle pouvait être, Dieu serait justifié.
Mais, devant cette illusion involontaire de notre entendement, illusion qu’il était si facile de dissiper, et dont les effets devaient être si terribles, où est l’excuse de la Providence ? N’est-il pas vrai qu’ici la grâce a manqué à l’homme ? Dieu, que la foi représente comme un père tendre et un maître prudent, nous livre à la fatalité de nos conceptions