Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/101

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Cette définition et cet éloge de la méthode de Sainte-Beuve, je les ai demandés à cet article de M. Paul Bourget, parce que la définition était courte et l’éloge autorisé. Mais j’aurais pu citer vingt autres critiques. Avoir fait l’histoire naturelle des esprits, avoir demandé à la biographie de l’homme, à l’histoire de sa famille, à toutes ses particularités, l’intelligence de ses œuvres et la nature de son génie, c’est là ce que tout le monde reconnaît comme son originalité, c’est ce qu’il reconnaissait lui-même, en quoi il avait d’ailleurs raison. Taine lui-même, qui rêvait d’une histoire naturelle des esprits, plus systématique et mieux codifiée, et avec qui d’ailleurs Sainte-Beuve n’était pas d’accord pour les questions de race, ne dit pas autre chose dans son éloge de Sainte-Beuve. «  La méthode de M. Sainte-Beuve n’est pas moins précieuse que son œuvre. En cela, il a été un inventeur. Il a importé, dans l’histoire morale, les procédés de l’histoire naturelle.

«  Il a montré comment il faut s’y prendre pour connaître l’homme  ; il a indiqué la série des milieux successifs qui forment l’individu, et qu’il faut tour à tour observer afin de le comprendre  : d’abord la race et la tradition du sang que l’on peut souvent distinguer en étudiant le père, la mère, les sœurs ou les frères  ; ensuite la première éducation, les alentours domestiques, l’influence de la famille et tout ce qui modèle l’enfant et l’adolescent  ; plus tard le premier groupe d’hommes marquants