Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/110

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«  Un artiste, dit Carlyle…  » et il finit par ne plus voir le monde que «  pour l’emploi d’une illusion à décrire  ».

En aucun temps, Sainte-Beuve ne semble avoir compris ce qu’il y a de particulier dans l’inspiration et le travail littéraire, et ce qui le différencie entièrement des occupations des autres hommes et des autres occupations de l’écrivain. Il ne faisait pas de démarcation entre l’occupation littéraire, où, dans la solitude, faisant taire ces paroles, qui sont aux autres autant qu’à nous, et avec lesquelles, même seuls, nous jugeons les choses sans être nous-mêmes, nous nous remettons face à face avec nous-mêmes, nous tâchons d’entendre, et de rendre, le son vrai de notre cœur, et non la conversation  ! «  Pour moi, pendant ces années que je puis dire heureuses (avant 1848), j’avais cherché et j’avais cru avoir réussi à arranger mon existence avec douceur et dignité. Ecrire de temps en temps des choses agréables, en lire et d’agréables et de sérieuses, mais surtout ne pas trop écrire, cultiver ses amis, garder de son esprit pour les relations de chaque jour et savoir en dépenser sans y regarder,