Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/113

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cabinet que nous ouvre à deux battants M. de Lamartine et dans lequel il nous force pour ainsi dire de pénétrer est différent. «  Ma vie de poète, écrit-il, recommence pour quelques jours. Vous savez mieux que personne qu’elle n’a jamais été qu’un douzième tout au plus de ma vie réelle. Le bon public, qui ne se crée pas comme Jéhovah l’homme à son image, mais qui le défigure à sa fantaisie, croit que j’ai passé trente années de ma vie à aligner des rimes et à contempler les étoiles. Je n’y ai pas employé trente mois, et la poésie n’a été pour moi que ce qu’a été la prière.  » Mais il continuera à ne pas comprendre ce monde unique, fermé, sans communication avec le dehors qu’est l’âme du poète. Il croira que les autres peuvent lui donner des conseils, l’exciter, le réprimer  :

«  Sans Boileau et sans Louis XIV qui reconnaissait Boileau comme son Contrôleur général du Parnasse, que serait-il arrivé  ? Les plus grands talents eux-mêmes auraient-ils rendu également tout ce qui forme désormais leur plus solide héritage de gloire  ? Racine, je le crains, aurait fait plus souvent de Bérénice, La Fontaine moins de Fables et plus de Contes, Molière lui-même aurait donné davantage dans les Scapins et n’aurait peut-être pas atteint aux hauteurs sévères du Misanthrope. En un mot chacun de ces beaux génies aurait abondé dans ses défauts. Boileau, c’est-à-dire le bon sens du poète critique autorisé et doublé de celui d’un grand roi, les contint tous et les contraignit, par