Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/117

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ment, pour faire l’offrande plus belle, il sacrifiait son plus cher Isaac, sa suprême Iphigénie. «  Je fais flèche de tout bois, disait-il, je tire mes dernières cartouches.  » On peut dire que, dans la fabrication de ces fusées, qu’il tira pendant dix ans chaque lundi avec un éclat incomparable, il fit entrer la matière, désormais perdue, de livres plus durables. Mais il savait bien que tout cela n’était pas perdu et que, puisqu’un peu d’éternel ou tout au moins de durable était entré dans la composition de cet éphémère, cet éphémère-là serait ramassé, recueilli et que les gens continueraient à en extraire du durable. Et, de fait, cela est devenu ces livres parfois si amusants, parfois même vraiment agréables, qui font passer des moments de si vrai divertissement que quelques personnes, j’en suis sûr, appliqueraient sincèrement à Sainte-Beuve ce qu’il dit d’Horace  : «  Chez les peuples modernes et particulièrement en France, Horace est devenu comme un bréviaire de goût, de poésie, de sagesse pratique et mondaine.  »

Leur titre de Lundis nous rappelle qu’ils furent pour Sainte-Beuve le travail fiévreux et charmant d’une semaine, le réveil glorieux de cette matinée du lundi dans cette petite maison de la rue du Mont-Parnasse. Le lundi matin, à l’heure où, l’hiver, le jour est encore blême au-dessus des rideaux fermés, il ouvrait Le Constitutionnel et sentait qu’au même moment les mots qu’il avait choisis venaient apporter, dans bien des chambres