Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/118

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de Paris, la nouvelle des pensées brillantes qu’il avait trouvées, et excitaient chez beaucoup cette admiration qu’éprouve pour soi-même celui qui a vu naître chez lui une idée meilleure que ce qu’il a jamais lu chez les autres et qui l’a présentée dans toute sa force, avec tous ces détails qu’il n’avait pas lui-même aperçus d’abord, en pleine lumière, avec des ombres aussi, qu’il a amoureusement caressées. Sans doute n’avait-il pas l’émotion du débutant, qui a depuis longtemps un article dans un journal, qui, ne le voyant jamais quand il ouvre le journal, finit par désespérer qu’il paraisse. Mais un matin, sa mère, en entrant dans sa chambre, a posé près de lui le journal d’un air plus distrait que de coutume, comme s’il n’y avait rien de curieux à y lire. Mais, néanmoins, elle l’a posé tout près de lui, pour qu’il ne puisse manquer de le lire et s’est vite retirée et a repoussé vivement la vieille servante, qui allait entrer dans la chambre. Et il a souri, parce qu’il a compris que sa mère bien-aimée voulait qu’il ne se doutât de rien, qu’il eût toute la surprise de sa joie, qu’il fût seul à la savourer et ne fût pas irrité par des paroles des autres, pendant qu’il lisait et obligé, par fierté, de cacher sa joie à ceux qui auraient indiscrètement demandé à la partager avec lui. Cependant, au-dessus du jour blême, le ciel est de la couleur de la braise dans les rues brumeuses, des milliers de journaux, humides encore de la presse et du petit jour mouillé, courant, plus nourrissants et plus