Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/125

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des gens, il se «  rendait libre  ». On n’avait pas besoin d’être mort, il suffisait d’être brouillé avec lui et c’est ainsi que nous avons des articles contradictoires sur Hugo, Lamartine, Lamennais, etc., et sur Béranger, dont il dit dans les Lundis  : «  Pour couper court avec ceux qui se souviendraient que j’ai autrefois, il y a plus de quinze ans, fait un portrait de Béranger tout en lumières et sans y mettre d’ombre, je répondrai que c’est précisément pour cela que je veux le refaire. Quinze ans, c’est assez pour que le modèle change, ou du moins se marque mieux  ; c’est assez surtout pour que celui qui a la prétention de peindre se corrige, se forme, se modifie en un mot lui-même profondément. Jeune, je mêlais aux portraits que je faisais des poètes beaucoup d’affection et d’enthousiasme, je ne m’en repens pas  ; j’y mettais même un peu de connivence. Aujourd’hui, je n’y mets rien, je l’avoue, qu’un sincère désir de voir et de montrer les choses et les personnes telles qu’elles sont, telles du moins qu’en ce moment elles me paraissent.  » Cette «  liberté reprise  » faisait de sa «  volonté de plaire  » un contrepoids, qui était indispensable à la considération. Il faut ajouter qu’en lui, il avait, avec une certaine disposition à s’incliner devant les pouvoirs établis, une certaine disposition à s’en affranchir, une tendresse mondaine et conservatrice, une tendresse libérale et libre penseuse. À la première, nous devons la place énorme que tous les grands personnages po-