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IX

GÉRARD DE NERVAL


« Gérard de Nerval, qui était comme le commis voyageur de Paris à Munich…  » Ce jugement semble surprenant aujourd’hui où on s’accorde à proclamer Sylvie un chef-d’œuvre. Le dirai-je pourtant, Sylvie est admirée aujourd’hui si à contresens à mon avis, que je préférerais presque pour elle l’oubli où l’a laissée Sainte-Beuve et d’où du moins elle pouvait sortir intacte et dans sa miraculeuse fraîcheur. Il est vrai que même de cet oubli qui l’abîme davantage, qui le défigure sous des couleurs qu’il n’a pas, un chef-d’œuvre a tôt fait de sortir, quand une interprétation vraie lui rend sa beauté. La sculpture grecque a peut-être été plus déconsidérée par l’interprétation de l’Académie, ou la tragédie de Racine par les néo-classiques, qu’elles n’auraient pu l’être par un oubli total. Il valait mieux ne pas lire Racine que d’y voir du Campistron. Mais aujourd’hui il a été nettoyé de ce poncif et se montre à nous aussi original