Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/131

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et nouveau que s’il avait été inconnu. Ainsi de la sculpture grecque. Et c’est un Rodin, c’est-à-dire un anticlassique qui montre cela.

Il est convenu aujourd’hui que Gérard de Nerval était un écrivain du XVIIIe siècle attardé et que le romantisme n’influença pas un pur Gaulois, traditionnel et local, qui a donné dans Sylvie une peinture naïve et fine de la vie française idéalisée. Voilà ce qu’on a fait de cet homme, qui à vingt ans traduisait Faust, allait voir Goethe à Weimar, pourvoyait le romantisme de toute son inspiration étrangère, était dès sa jeunesse sujet à des accès de folie, était finalement enfermé, avait la nostalgie de l’Orient et finissait par y partir, était trouvé pendu à la poterne d’une cour immonde, sans que, dans l’étrangeté de fréquentations et d’allures où l’avaient conduit l’excentricité de sa nature et le dérangement de son cerveau, on ait pu décider s’il s’était tué dans un accès de folie ou avait été assassiné par un de ses compagnons habituels, les deux hypothèses paraissant également plausibles  ! Fou, non pas d’une folie en quelque sorte purement organique et n’influant en rien sur la nature de la pensée, comme nous en avons connu de ces fous, qui en dehors de leurs crises avaient plutôt trop de bon sens, un esprit presque trop raisonnable, trop positif, tourmenté seulement d’une mélancolie toute physique. Chez Gérard de Nerval la folie naissante et pas encore déclarée n’est qu’une sorte de subjectivisme excessif, d’importance plus