Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/132

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grande pour ainsi dire, attachée à un rêve, à un souvenir, à la qualité personnelle de la sensation, qu’à ce que cette sensation signifie de commun à tous, de perceptible pour tous, la réalité. Et quand cette disposition artistique, la disposition qui conduit, selon l’expression de Flaubert, à ne considérer la réalité que «  pour l’emploi d’une illusion à décrire  », et à faire des illusions qu’on trouve du prix à décrire une sorte de réalité, finit par devenir la folie, cette folie est tellement le développement de son originalité littéraire dans ce qu’elle a d’essentiel, qu’il la décrit au fur et à mesure qu’il l’éprouve, au moins tant qu’elle reste descriptible, comme un artiste noterait en s’endormant les étapes de conscience qui conduisent de la veille au sommeil, jusqu’au moment où le sommeil rend le dédoublement impossible. Et c’est aussi dans cette période de sa vie qu’il a écrit ses admirables poèmes où il y a peut-être les plus beaux vers de la langue française, mais aussi obscurs que du Mallarmé, obscurs, a dit Théophile

Gautier, à rendre clair Lycophron  :

Je suis le ténébreux…

et tant d’autres…

Or, il n’y a nullement solution de continuité entre Gérard poète et l’auteur de Sylvie. On peut même dire – et c’est évidemment un des reproches qu’on peut lui faire, une des choses qui montrent