Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

leur forme. Alors on s’éveille, on ne les voit plus, on s’y laisse aller et avant qu’on ait su les fixer on est endormi, comme si l’intelligence n’avait pas la permission de les voir. Les êtres eux-mêmes qui sont dans de tels tableaux sont des rêves.

Une femme que dans une autre existence peut-être
J’ai vue et dont je me souviens…

Qu’y a-t-il de moins racinien que cela  ? Que l’objet même du désir et du rêve soit précisément ce charme français où Racine a vécu et qu’il a exprimé sans d’ailleurs le ressentir, c’est très possible, mais c’est comme si l’on trouvait qu’une classe de choses absolument pareilles sont un verre d’eau fraîche et un fiévreux, parce qu’il le désire, ou l’innocence d’une jeune fille et la lubricité d’un vieillard parce que le premier est le rêve du second. M. Lemaître, et je dis cela sans que cela altère en rien ma profonde admiration pour lui, sans que cela ôte rien à son livre merveilleux, incomparable sur Racine, a été l’inventeur, dans ce temps où il y en a si peu, d’une critique qui est bien à lui, qui est toute une création et où, dans les morceaux les plus caractéristiques et qui resteront parce qu’ils sont tout à fait personnels, il aime à faire sortir d’une œuvre une quantité de choses qui en pleuvent alors à profusion, un peu comme des gobelets qu’il y aurait mis.