Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/140

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le vide, et avoir empreint un pays de cette atmosphère de rêve que Gérard a laissée en Valois, parce que c’est bien de son rêve qu’il l’a tirée. On peut penser sans trouble à l’admirable Villequier d’Hugo, à l’admirable Loire d’Heredia. On frissonne quand on a lu dans un indicateur de chemin de fer le nom de Pontarmé. Il y a en lui quelque chose d’indéfinissable, qui se communique, qu’on voudrait par calcul avoir sans l’éprouver, mais qui est un élément original, qui entre dans la composition de ces génies et n’existe pas dans la composition des autres, et qui est quelque chose de plus, comme il y a dans le fait d’être amoureux quelque chose de plus que l’admiration esthétique et de goût. C’est cela qu’il y a dans certains éclairages de rêve, comme celui qu’il y a devant le château Louis XIII, et si intelligent qu’on soit comme Lemaître, quand on le cite comme un modèle de grâce mesurée, on erre. C’est un modèle de hantise maladive… Maintenant rappeler ce que sa folie avait d’inoffensif, de presque traditionnel et d’ancien en l’appelant un «  fol délicieux  », c’est de la part de Barrès une marque de goût charmant.

Mais Gérard allait revoir le Valois pour composer Sylvie  ? Mais oui. La passion croit son objet réel, l’amant de rêve d’un pays veut le voir. Sans cela, ce ne serait pas sincère. Gérard est naïf et voyage. Marcel Prévost se dit  : restons chez nous, c’est un rêve. Mais tout compte fait, il n’y a que l’inexprimable, que ce qu’on croyait ne pas réussir à faire