Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/155

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qu’il peint lui reste objective et qu’il ne pense pas à lui. Aussi se voit-il comme un pauvre homme qui serait bien flatté d’être invité chez un duc et d’avoir des prix à l’Académie. Et si cette humilité est la condition de sa sincérité et de son œuvre, qu’elle soit bénie.

Baudelaire se trompait-il à ce point sur lui-même  ? Peut-être pas, théoriquement. Mais si sa modestie, sa déférence étaient de la ruse, il ne se trompait pas moins pratiquement sur lui-même puisque lui qui avait écrit Le Balcon, Le Voyage, Les Sept Vieillards, il s’apercevait dans une sphère où un fauteuil à l’Académie, un article de Sainte-Beuve étaient beaucoup pour lui. Et on peut dire que ce sont les meilleurs, les plus intelligents qui sont ainsi, vite redescendus de la sphère où ils écrivent Les Fleurs du Mal, Le Rouge et le Noir, L’Éducation sentimentale – et dont nous pouvons nous rendre compte, nous qui ne connaissons que les livres, c’est-à-dire les génies, et que la fausse image de l’homme ne vient pas troubler, à quelle hauteur elle est au-dessus de celle où furent écrits les Lundis, Carmen et Indiana –, pour accepter avec déférence, par calcul, par élégance de caractère ou par amitié, la fausse supériorité d’un Sainte-Beuve, d’un Mérimée, d’une George Sand. Ce dualisme si naturel a quelque chose de si troublant. Voir Baudelaire désincarné, respectueux avec Sainte-Beuve, et tantôt d’autres intriguer pour la croix, Vigny qui vient d’écrire Les Desti-