Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/156

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nées mendiant une réclame dans un journal (je ne me rappelle pas exactement mais ne crois pas me tromper).

Comme le ciel de la théologie catholique qui se compose de plusieurs ciels superposés, notre personne, dont d’apparence que lui donne notre corps avec sa tête qui circonscrit à une petite boule notre pensée, notre personne morale se compose de plusieurs personnes superposées. Cela est peut-être plus sensible encore pour les poètes qui ont un ciel de plus, un ciel intermédiaire entre le ciel de leur génie, et celui de leur intelligence, de leur bonté, de leur finesse journalières, c’est leur prose. Quand Musset écrit ses Contes on sent encore à ce je ne sais quoi par moments le frémissement, le soyeux, le prêt à s’envoler des ailes qui ne se soulèveront pas. C’est ce qu’on a du reste dit beaucoup mieux  :

Même quand l’oiseau marche, on sent qu’il a des ailes.

Un poète qui écrit en prose (excepté naturellement quand il y fait de la poésie comme Baudelaire dans ses Petits Poëmes et Musset dans son théâtre), Musset, quand il écrit ses Contes, ses essais de critique, ses discours d’Académie, c’est quelqu’un qui a laissé de côté son génie, qui a cessé de tirer de lui des formes qu’il prend dans un monde surnaturel et exclusivement personnel à lui et qui pourtant s’en ressouvient, nous en fait souvenir. Par