Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/182

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amoureux idéal, peut-être était-ce un privilège, la condition essentielle même, que l’auteur précisément conçût tout naturellement les sentiments les plus nobles d’une façon si vulgaire que, quand il croirait nous peindre l’accomplissement du rêve de bonheur d’une vie, il nous parlât des avantages sociaux de ce mariage. Il n’y a pas ici à séparer sa correspondance de ses romans. Si l’on a beaucoup dit que les personnages étaient pour lui des êtres réels et qu’il discutait sérieusement si tel parti était meilleur pour Mlle de Grandlieu, pour Eugénie Grandet, on peut dire que sa vie était un roman qu’il construisait absolument de la même manière. Il n’y avait pas démarcation entre la vie réelle (celle qui ne l’est pas à notre avis) et la vie de ses romans (la seule vraie pour l’écrivain). Dans les lettres à sa sœur où il parle des chances de ce mariage avec Mme Hanska, non seulement tout est construit comme un roman, mais tous les caractères sont posés, analysés, décrits, comme dans ses livres, en tant que facteurs qui rendraient l’action claire. Voulant lui montrer que la façon dont sa mère la traite en petit garçon dans ses lettres, et aussi que la révélation non seulement de ses dettes à lui, Balzac, mais qu’il a une famille endettée, peut faire rater le mariage et faire préférer à Mme Hanska un autre parti, il écrit tout comme il pourrait le faire dans Le Curé de Tours  : «  Alors vous apprenez que l’état de sculpteur a des chances, que le gouvernement réduit ses