Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/193

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d’ailleurs l’objet de cette passion. Balthazar Claës est le frère des Hulot, des Grandet. Celui qui écrira la vie de la famille d’un neurasthénique pourra faire une peinture du même genre.

Le style est tellement la marque de la transformation que la pensée de l’écrivain fait subir à la réalité, que, dans Balzac, il n’y a pas à proprement parler de style. Sainte-Beuve s’est trompé là du tout au tout  : «  Ce style si souvent chatouilleux et dissolvant, énervé, rosé et veiné de toutes les teintes, ce style d’une corruption délicieuse, tout asiatique comme disaient nos maîtres, plus brisé par places et plus amolli que le corps d’un mime antique.  » Rien n’est plus faux. Dans le style de Flaubert, par exemple, toutes les parties de la réalité sont converties en une même substance, aux vastes surfaces, d’un miroitement monotone. Aucune impureté n’est restée. Les surfaces sont devenues réfléchissantes. Toutes les choses s’y peignent, mais par reflet, sans en altérer la substance homogène. Tout ce qui était différent a été converti et absorbé. Dans Balzac au contraire coexistent, non digérés, non encore transformés, tous les éléments d’un style à venir qui n’existe pas. Le style ne suggère pas, ne reflète pas  : il explique. Il explique d’ailleurs à l’aide des images les plus saisissantes, mais non fondues avec le reste, qui font comprendre ce qu’il veut dire comme on le fait comprendre dans la conversation si on a une conversation géniale, mais sans se préoc-