Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/206

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la mort de Lucien de Rubempré. Sans doute, il s’attendrissait sur elle, comme tous les lecteurs, en se plaçant au point de vue de Vautrin, qui est le point de vue de Balzac. Et à ce point de vue d’ailleurs, il était un lecteur particulièrement choisi et élu pour adopter ce point de vue plus complètement que la plupart des lecteurs. Mais on ne peut s’empêcher de penser que, quelques années plus tard, il devait être Lucien de Rubempré lui-même. Et la fin de Lucien de Rubempré à la Conciergerie, voyant toute sa brillante existence mondaine écroulée sur la preuve qui est faite qu’il vivait dans l’intimité d’un forçat, n’était que l’anticipation – inconnue encore de Wilde, il est vrai – de ce qui devait précisément arriver à Wilde.

Dans cette dernière scène de cette première partie de la Tétralogie de Balzac (car dans Balzac, c’est rarement le roman qui est l’unité  ; le roman est constitué par un cycle, dont un roman n’est qu’une partie) chaque mot, chaque geste, a ainsi des dessous dont Balzac n’avertit pas le lecteur et qui sont d’une profondeur admirable. Ils relèvent d’une psychologie si spéciale, et qui, sauf par Balzac, n’a jamais été faite par personne, qu’il est assez délicat de les indiquer. Mais tout, depuis la manière dont Vautrin arrête sur la route Lucien